Traversée de l’Atlantique : interview de deux marins

Dorade coryphène pêchée par Damien au milieu de l'Atlantique.

Eh bien, ça y est, on l’a fait !

On aura mis 15 jours, 3 heures et 15 minutes précisément à traverser l’Atlantique, avec notre Océanis 390, depuis Mindelo au Cap-Vert jusqu’à Charlotteville à Tobago. Pour ceux qui ne sont pas du milieu de la voile, mais même pour ceux qui naviguent sans jamais avoir traversé un océan, cette navigation reste un peu mystérieuse. Est-ce que c’est long ? Comment on s’occupe ? Qui dort quand ? …

Alors pour tout vous raconter au mieux, on vous fait partager notre expérience avec nos deux points de vue, sous forme d’interview, en répondant aux questions que nous-mêmes on se posait avant le départ 🙂

En espérant que cela rassure et démystifie un peu sur ce périple !

 

 

Bilan des chiffres :

Distance parcourue : 2138 milles nautiques

Durée totale : 15 jours 3 heures et 15 minutes

Vitesse moyenne : 5,88 nœuds

Meilleure distance sur 24 h : 165 milles

Nombre d’heures moteur : 57,8 heures au ralenti, juste pour recharger les batteries à cause de nos problème de panneaux solaires

Manoeuvres : 2 empannages voulus, 5 non désirés, 3 jours sous spi

Température de l’eau au milieu de l’Atlantique : 28°C (!!)

Température de l’eau à Tobago : 29,5°C

Bateaux : 5 cargos croisés et pas mal de voiliers les quatre premiers jours

Animaux : 2 baleines, un banc de dauphins mais surtout une infinité de poissons volants et d’oiseaux

Pêche : 5 poissons dont 3 dorades coryphènes, un wahou et un barracuda

Heure : UTC-1 au Cap-Vert et UTC-4 à Tobago

 

 

  1. Est-ce qu’on s’ennuie ?

Damien : C’était ma principale question avant de partir… 15 jours en mer dans un espace restreint avec Anaïs pour seul compagnon, ça peut faire peur ! Mais finalement, c’est une certaine monotonie qui s’installe et les journées passent très vite. Notre journée type est organisée autour des repas et des quarts la nuit. On adore réfléchir au repas du jour suivant, on prend notre temps pour cuisiner et arrive le moment de manger ! 3 fois par jour ça fait passer le temps déjà.

Ensuite on trouve des occupations sympa, on lit, on fait des siestes, je pêche et si ça mord je prend pour au moins 1h de dépiautage de poisson, puis 1h de cuisine ou préparation dudit poisson ! Il ne faut pas oublier aussi la grosse demi-heure de nettoyage du bateau (et de moi même) couvert de sang et d’entrailles de poisson. Ça prend tellement de temps que je préférais m’abstenir de pêcher certains jours.

On a passé au moins une heure par jour à jouer aux jeux de société (bon, toujours les mêmes ça commençait à devenir lassant). Et enfin à cause de problèmes d’énergie, j’ai passé beaucoup de temps à la barre pour économiser les batteries, parfois c’était long et parfois c’était un régal de tenter les surfs sous les étoiles !

Damien qui se met à la couture, il nous a fabriqué un superbe drapeau jaune, le drapeau international Q qu’il faut hisser pour indiquer qu’on va faire les démarches d’entrée dans le pays.

Anaïs : C’était l’une de mes plus grandes préoccupations ! Pour nos deux précédentes traversées (Gibraltar – Canaries et Canaries – Cap-Vert), j’avais lu et regardé des séries mais je n’avais jamais réussi à en profiter pleinement, ni d’ailleurs à me détendre pendant le voyage. Trop d’appréhension peut-être, les conditions qui ne s’y prêtent pas (on était souvent mouillé), trop d’impatience à arriver… Du coup, je me suis préparée à fond cette fois-ci avant le départ et je ne le regrette pas ! C’est ce qui m’a permit de vivre cette traversée et non de l’endurer je pense.

  • Livres triés et chargés sur les liseuses. J’ai du en lire plus d’une dizaine ! Merci Mojo II pour nous en avoir passé plein avant le départ !
  • Films et mangas en dessin-animé prévus sur le téléphone portable
  • Bracelets brésiliens à réaliser. Merci, Karémo et Vitavi pour l’idée^^
  • Playlists de musiques créées en amont
  • Jeux de société prêts à être dégainés. On a disputé de nombreuses parties de Duel (7Wonders) et je gagnais très souvent, ce qui n’est pas pour me déplaire ! et puis, on a bien épuisé le Tamoul aussi, un jeu de cartes qui se joue à deux, qu’on a appris à Mindelo grâce à un couple Teresa et Julien 🙂

Et au final, quand on ne sait plus quoi faire, il y a bien sûr les repas qui heureusement revenaient vite. Ça rythmait bien nos journées, un peu comme un trajet en avion où on n’attend que ça !

On passait aussi du temps à regarder la mer, plongé dans nos pensées. Ça attire l’œil, toute cette immensité bleue, on repère les oiseaux, les poissons volants, etc. Enfin, je faisais en moyenne une sieste d’1h30 par jour, là aussi plus pour passer le temps que vraiment par fatigue.

 

  1. Comment on organise les quarts avec un équipage de deux personnes ?

Damien : On a décidé pour cette transat de faire des quarts de 3h. Et ça a très bien marché, on préfère désormais ce fonctionnement aux quarts de 2h que l’on faisait avant. Il permet de ne se réveiller que 2 fois dans la nuit, car au final ce n’est pas le manque de sommeil qui rend les quarts pénibles, c’est de se faire réveiller plusieurs fois par nuit par cet affreux réveil !! Donc on dort théoriquement 6h par nuit ce qui est suffisant car on peut faire des siestes en journée (c’était l’occupation favorite d’Anaïs ;)). Et les tranches de 3h debout se passent bien (en même temps, on avait de belles conditions), ça laisse le temps de regarder un film par quart, de lire ou écouter la musique en regardant les étoiles et le lever de lune.

Évidemment, s’il y avait le moindre doute sur le pont pendant que j’étais ‘off’, je me levais comme l’éclair pour éclairer Anaïs de mes conseils, pour rétablir un réglage de spi un peu capricieux ou éviter un cargo qui nous prenait en chasse. 😉

Anaïs : Quand on parlait à d’autres équipages sur les pontons de Mindelo et qu’ils apprenaient qu’on allait faire la traversée seulement à deux, les principales questions étaient : « Mais vous avez un bon pilote ? » et « Vous allez faire comment pour les quarts ? »

Heureusement, pas de souci du côté du pilote, si on a du barrer de temps en temps, c’est pour une autre raison (voir ci-dessous). Par contre, pour les quarts, évidemment, ce n’est pas la même organisation qu’avec un équipage plus nombreux. D’ailleurs, la plupart des bateaux partaient avec une moyenne de 4 passagers à bord, justement pour pouvoir dormir plus la nuit. Nous, on avait envie de vivre cette expérience à deux, quitte à plus rythmer nos nuits. On a donc fait des quarts de 3h, suite aux conseils d’autres marins.

Nos horaires sont restées calées sur le Cap-Vert durant toutes les traversées. Mais au-delà des heures sur le cadran, on suivait surtout le soleil. On se couchait avec lui, pour pouvoir terminer le dernier quarts 1/2h environ après son lever. Le quart n°1 était de 20h à 23h, le quart n°2 de 23h à 2h, le quart n°3 de 2h à 5h et le quart n°4 de 5h à 8h. On a juste décalé d’une heure par la suite pour continuer à suivre le soleil.

Bon, ce n’était pas aussi précis évidemment, car il faut le temps de se relever, de se rhabiller pour l’extérieur, etc.

On alternait chaque nuit entre nous, soit quarts 1 et 3, soit quarts 2 et 4. Moi, je préférais 1 et 3, car je n’aime pas trop aller me coucher juste après le dîner, et ça ne faisait qu’un seul réveil par nuit ^^

 

  1. Est-ce que c’est fatigant ?

Damien : On arrive de cette transat en pleine forme, je ne me suis pas du tout sentit fatigué pendant ces 2 semaines, une petite sieste de temps en temps pour revigorer le bonhomme, quelques heures de méditation profonde en observant les étoiles et voila le secret ! Physiquement, ça n’a pas était très exigent, peu de manœuvres, peu de pluie et pas de gros temps.

Il n’y a jamais eu de baisse de morale non plus, grâce aux occupations, au temps qui file, chaque soir, j’étais ravi de me dire qu’il restait une jour de moins. Et puis, on n’a pas eu de pétole donc quand on compte une moyenne de 140 milles par jour ça fait chaud au cœur !

Anaïs : On arrivait à bien se reposer dans la cabine arrière, calé entre les oreillers et les coussins pour ne pas trop bouger (car ça roule pas mal des fois). Plus le temps passait et moins le roulis ni les bruits environnants ne me dérangeaient pour dormir. Ça peut en faire du bruit un bateau en navigation pourtant ! Entre les bocaux des placards qui s’entrechoquent, la vaisselle qui bouge, certaines parois qui se mettent à craquer, les voiles qui battent de temps en temps, ce n’est pas tout calme. Mais on finit par faire abstraction…

Et puis, moralement, rien à voir avec les deux traversées précédentes, où je n’avais qu’une hâte, c’était d’arriver et du coup, je ne voyais que les mauvais côtés à bord. Là, je suis partie sans penser justement à la fin, peu importe le nombre de jours qu’il prendra. Et ça change tout pour le moral ! On prend le temps, on profite, on se repose mieux.

 

  1. Qu’est-ce qu’on mange à bord ? Est-on obligé de se cuisiner des plats lyophilisés ?

Damien : Manger était l’occupation numéro 1 à bord de Manwë !! Donc avant de partir, on avait fait le plein de fruits et légumes qui ont bien tenu jusqu’à la deuxième semaine pour les patates douces. On a même des bananes qui sont à peine mûres à l’heure où je vous parle ! Évidement, les pâtes ou le riz sont régulièrement au menu, mais j’adore les pâtes … donc ça me plait surtout que l’on avait tout plein de sauces ou boîtes de thon pour accompagner au cas où…

Finalement, j’ai réussi à remonter plusieurs poissons à intervalle régulier. Je suis assez content de moi sur ce point ;). 3 dorades coryphènes dont une grosse qui m’a valu un beau combat pour la remonter, un beau wahou (thazard) et un barracuda que j’ai préféré relâcher de peur de la ciguatera.

Wahou pêché par Damien au beau milieu de l'Atlantique.

Ça nous a permis de faire des repas de poisson cru, à la sortie de l’eau, (dit à la tahitienne) mariné dans du citron et lait de coco, un régal et ensuite faire des conserves (première expérience concluante on recommencera) et même du poisson séché, expérience culinaire très étonnante, il nous en reste pour 2 mois au moins !

Anaïs : Eh bien, on a pu faire des vrais repas, assez équilibrés la plupart du temps ! Avec parfois un petit goûter en prime 🙂 Pas d’apéro par contre… Eh oui, même si on pense que c’est une des activités principales lors d’une navigation (et ça l’est pour de nombreux voiliers), nous n’en avons pas fait à bord de Manwë. D’une part, parce que boire de l’alcool ne me donnait pas envie plus que ça, je ne voulais pas risquer de tomber malade et d’autre part, nous n’avions pas de frigo suite à nos problèmes d’énergie, donc une bière chaude c’est moyen ! Damien en a seulement bu une de tout le trajet…

Voici les différents mets que l’on a pu préparé pendant ces 15 jours de mer. On a pas eu à préparer des menus à l’avance car nous n’étions que deux, ça reste assez facile.

Petit-déjeuner :

  • Pain maison, préparé par Damien. Pétrit la veille et cuit durant la nuit pendant un quart, c’était très agréable d’avoir l’odeur du pain chaud au réveil !
  • Porridge, une de mes spécialités. Facile à faire, ça cale bien pour la matinée. Il suffit de faire chauffer des flocons d’avoine avec du lait dans une casserole et on ajoutait du chocolat en poudre ou de la confiture.
  • Petits déjeuners anglais. On adore vraiment ça et c’était un plaisir d’avoir encore à bord deux conserves de beans. Le premier, on avait encore du bacon, acheté avant le départ. Bon, le second il a juste fallu se contenter d’un œuf et de toasts, mais c’est déjà très bon:)

Déjeuner ou dîner :

  • Salades pour le midi. Les avocats du marché de Mindelo notamment étaient super bons, les tomates se sont bien gardées et le chou, ça dure longtemps à deux avant de tout consommer !
  • Poissons frais, pêchés par Damien.
  • Risottos. Avec des petits pois, des tomates, des morceaux de poissons séchés, assaisonné aux épices ou à la sauce soja, bref, il y a tellement de combinaisons possibles ! Le seul ingrédient manquant, valable aussi pour les plats de pâtes, c’est du fromage type parmesan. Mais depuis le Cap-Vert, on a un peu abandonné l’idée…
  • Tartes salées et pizzas, avec des bonnes pâtes maisons. La recette principale était thon tomate oignon, on n’avait pas de viande à mettre dessus. On en a fait avec une de nos conserves de poisson. Une pizza à la dorade coryphène, c’est la classe !
  • Purée saucisses (avec patates douces) ou saucisses lentilles, des plats bien réconfortants. Bon, les saucisses, elles, c’était en conserve type knacki, mais c’était très mangeable.
  • Pâtes (l’incontournable).
  • Frites. Rapport à notre grande quantité de patates douces ! Un petit plaisir un peu plus gras mais tellement bon !

Une fois que nous n’avions plus de légumes frais (au milieu de la seconde semaine), nous avons commencé à entamer nos conserves de légumes, accompagnées d’un œuf au plat par exemple ou de semoule. Finalement, on aura mangé qu’une seule conserve plat préparé de tout le voyage : des raviolis le dernier midi ! On allait arriver quelques heures plus tard et c’était plus par flemme que parce que nous n’avions rien d’autres ^^

A côté des repas, on a bien aimé se faire quelques petits goûters ou en-cas de nuits (même si on n’avais pas forcément faim, ça occupe et ça remonte le moral de grignoter pendant un quart). Fruits, yaourts, biscuits, gâteaux à la banane, crêpes à la confiture, on s’est fait plaisir ! Bon, pas de Nutella à bord, quel dommage… (mais ça ne semblait pas exister au Cap-Vert).

 

  1. Comment on trace sa route ?

Damien : En théorie traversée l’Atlantique d’est en ouest est simple, et se passe dans des conditions confortables. En effet les alizés partent du Cap-Vert pour rejoindre les Caraïbes, comme nous, et le courant du Gulf Stream fait la même route et nous sert de tapis roulant. La saison des alizés débute généralement fin novembre pour s’établir plus sérieusement vers janvier et forcir légèrement. Comme nous voulions traverser fin novembre, pour arriver au plus tôt après la période cyclonique aux Caraïbes, on pouvait s’attendre à des trous dans cet alizé, formant de vastes zones de pétole (sans vent).

Et c’est exactement ce qui c’est passé à la date que nous avions initialement choisie pour partir (le 23 novembre), il nous a fallu prendre notre mal en patience et attendre le dimanche 26 pour que le vent stable se réinstalle et que l’on est une bonne prévision météo pour les 10 jours à venir. C’est donc au portant que se déroule toute la transat dans des vents de 10 à 25 nœuds (30 sous certains grains). On a porté le spi les 2 premiers jours puis l’option grand voile et génois en ciseau (tangonné) s’est révélé être la plus conciliante avec le renforcement du vent et la quiétude de l’équipage pendant les quarts. On a donc très peu manœuvré, 2 empannages afin de faire de la route vers le sud pour aller chercher une zone de vent un peu plus soutenu, et réduire ou renvoyer de la toile pour suivre les conditions et ne pas en exiger trop de Manwë.

Mon passé de régatier me pousse à faire un routage par rapport au vent plutôt que de faire la route direct comme nombre de plaisanciers. J’avais donc pris la météo pour les 10 premiers jours puis par par le téléphone satellite mon père m’informait de l’évolution du vent dans la zone. Ma seule crainte sur cet itinéraire était de rencontrer la pétole.

Sans doute que notre speedomètre est pessimiste et un peu encrassé par les algues (bien que je l’ai nettoyé la veille du départ) mais notre vitesse fond (relevé au GPS) était toujours de 1 à 2 nœuds plus vite. Je pense donc que les courants sont assez profitables sous ces latitudes.

Anaïs : J’avoue, je m’en suis principalement remise à notre capitaine, pour ce qui est de la route à suivre. Il n’y a pas grand-chose à voir de toute façon sur la carte en ce qui concerne le trajet, difficile de concevoir qu’on avance car c’est bien vaste l’Atlantique.

On barrait aussi plusieurs fois par jour, à cause de nos problèmes de panneaux solaires. Là encore, beaucoup plus souvent Damien que moi, c’est que c’est physique de barrer dans les vagues ! Surtout que plein vent arrière, la grand-voile menace d’empanner si on abat trop et ça m’est arrivé 3 ou 4 fois 🙁 Heureusement, pas de casse à déplorer. De toute façon, même le pilote nous a fait à un moment un empannage non désiré ! Un peu trop de vagues à ce moment là…

Sinon, on peut savoir qu’on est toujours dans la bonne direction grâce aux rayons du soleil. Notre trajet étant quasiment orienté sur l’axe est-ouest, il se levait derrière nous, passait au sud au dessus du bateau et se couchait en face. Pareil avec les étoiles, où ce sont toujours les mêmes constellations que nous apercevions au fil des heures dans l’axe du bateau. La plus reconnaissable étant Orion qui se levait derrière nous, avec l’amas des Pléiades juste à côté. On pouvait aussi voir la Grande Ourse pendant quelques heures (mais à l’envers 🙂 ).

Je ne sais pas si on la voit mais Orion est cachée sur cette photo !

Finalement, même si nous sommes entourés de bleu à perte de vue, on arrive toujours à savoir (sans avoir besoin de se fixer sur la carte et le GPS) dans quel direction nous sommes. Tous les sens sont en éveil, ça reste très instinctif et l’électronique n’est pas indispensable en permanence !

 

  1. Est-on seul sur l’eau ?

Damien : Plusieurs bateaux sont partis le même jour que nous (ils attendaient également les bonnes conditions), et de nombreux bateaux étaient partis les jours précédents malgré la pétole. Le rallye de l’ARC qui venait des Canaries est resté scotché pendant des jours ou a du faire route au moteur pour se ravitailler au Cap-Vert tandis que le rallye Sail the Odyssey est parti 4 jours avant nous et a du affronter 4 jours de vent très très faible. C’est donc avec un esprit de compétition bien forgé que je suis parti de Mindelo sous spi pour tirer le meilleur de Manwë et dépasser tous ces concurrents 😉 Les 4 premiers jours, nous avons donc croisé quelques voiliers qui bien souvent nous doublaient, étant des unités de 15 à 20 mètres de long.

Sous spi au départ de Mindelo…

Nous avons également croisé 5 cargos. Notre karma a placé 3 d’entre eux exactement sur notre route de collision et de nuit ! Heureusement, l’alarme AIS était là pour nous prévenir si nous ne les avions pas déjà repérés. Donc manœuvres pour les éviter, affalage de spi…

Sinon les oiseaux sont étonnement présents au beau milieu de l’Atlantique, à plus de 1000 milles de toutes côtes. On a aussi fait la rencontre de 2 belles baleines qui nous ont majestueusement salué avec leur nageoire caudale.

Et encore et toujours des poissons volants, en escadron près du bateau ou morts sur le pont au petit matin. Je m’en suis d’ailleurs servit d’appât pour la pêche, ce qui semble bien marcher, j’en ai tiré une coryphène et une ligne cassé sous la traction d’une très belle prise.

Anaïs : Pas vraiment, en fait. Enfin, la majorité du temps, oui, c’est surtout nous, le bateau, les vagues et le ciel bleu. Mais on a quand même eu (la chance) de croiser beaucoup de voiliers au début de la transat, plus en tout cas que durant nos navigations au Cap-Vert ! Les voiliers, c’est sympa du coup, on se sent moins seul et Damien s’amusait à les appeler à la VHF pour faire connaissance.

Les cargos, c’est moins cool par contre. Seulement 5 durant tout le trajet, en soi ce n’est pas beaucoup sur 2000 milles ! On se demande même pourquoi on fait des quarts:) Mais on n’a vraiment pas eu de chance, sur les 5, 3 étaient en route de collision avec nous, c’est fou ça !

A part les embarcations, c’est la quantité d’oiseaux de mer qui m’a le plus surprise ! Costauds les oiseaux, pour tenir sur d’aussi longues distances au milieu de l’océan… On a croisé aussi un magnifique banc de dauphins, qui a navigué avec nous quelques minutes lors de notre dernière nuit, un bon accueil à l’approche de Tobago.

Nous ne sommes donc pas que tous les deux sur l’eau… D’ailleurs, ce n’était pas gênant de se retrouver à deux en huit-clos pendant 15 jours. La nuit, on se croise seulement et la journée, chacun trouve son rythme, ses occupations. Bon, j’embêtais un peu Damien à la longue à vouloir jouer chaque jour aux cartes mais c’était bien sympa aussi 🙂

Les sargasses, il y en a plein au milieu de l’Atlantique ! Des bancs entiers d’algues qui nous empêchaient de pêcher…

 

  1. Est-ce qu’il y a eu des problèmes à bord ?

Damien : Naviguer sans avoir de problème à bord est bien illusoire, je pense même que ceux qui affirment ne rien casser, restent en fait beaucoup plus au bar qu’à la barre !

Pour nous sur Manwë, notre fil rouge, de problème, c’est l’énergie… On vous avait raconté les déboires que l’on a eu au Cap-Vert et le peu de solutions mises en place avec les faibles moyens locaux. Et bien, ça a continué sur sa lancée, les panneaux solaires ne fournissaient plus qu’une petite vingtaine d’Ah par jour, alors qu’avec nos 200W théoriques, on pourrait en espérer 80Ah au moins avec l’ensoleillement convenable. Bref j’ai vainement tenté de solutionner le problème mais je n’y arrive pas et ne comprend pas d’où ça vient (si quelqu’un à un avis à me donner qu’il se manifeste). Je pense qu’il va être nécessaire de remplacer ces vieux panneaux solaires.

Sinon un peu de casse légère : cadène de poulie d’écoute de spi, bout d’enrouleur de génois… Bref rien de contraignant. Les bonhommes ne se sont pas cassés non plus c’est le principal !

Damien qui tente de voir où est le problème sur les panneaux solaires, sans succès malheureusement…

Anaïs : Le principal problème auquel je pensais en amont du voyage, c’était mon mal de mer. Je suis plutôt sensible aux vagues, à la houle, même si ça ne dure jamais longtemps. Et ça n’a pas loupé durant les premières 24h, en même temps, j’étais parti fière sans prendre de médicaments ni mettre mes bracelets de force ! ^^

Note: Ce sont deux bracelets en tissu avec une bille en plastique, qui appuie sur un point du poignet (comme en acupuncture) et qui empêcheraient les nausées. C’est sans doute plus psychologique qu’autre chose, mais j’ai l’impression que ça marche.

Du coup, la première journée, je n’étais pas bien du tout, mal à la tête, mal au cœur, aucun appétit, envie de vomir… J’ai quand même fait mes quarts mais je n’ai pas trop mangé. Heureusement, une fois les bracelets en place, un cachet pris et quelques heures de sommeil, ça allait déjà mieux. C’était le temps de s’habituer. Et le plus génial, c’est que je n’ai plus été malade de la traversée entière, une petite victoire pour moi !

J’ai pu profiter de toutes les activités que j’avais prévues, regardé des films sans souci, faire la vaisselle ou la cuisine à l’intérieur même quand ça roulait. Bon, de temps en temps, un léger mal de crâne faisait son apparition mais en sortant prendre l’air, ça passait. Je reprenais parfois un cachet en prévision mais pas plus. C’était un vrai soulagement, je n’avais pas du tout envie de subir le voyage.

 

  1. A t-on eu peur ?

Damien : Je partais serein sur cette transat car elle est sensée se faire dans les bonnes conditions de vent et de courant sous de bonnes latitudes (avec des températures plus que convenables). Et c’est passé comme sur des roulettes, j’étais même agréablement surpris la première semaine par la mer calme que l’on avait. On a retrouvé la deuxième semaine les conditions que j’imaginais plus, à savoir un peu plus de houle, parfois un peu croisée, mais la mer et le vent restaient bien maniables.

Anaïs : A part le mal de mer et l’ennui, je n’avais pas d’appréhension spéciale avant le voyage. On savait qu’on allait veiller la nuit, pour surveiller les cargos et les conditions de vent. Évidement, il m’est arrivé de penser furtivement « mais si on tape une baleine ? Ou un conteneur flottant ? » mais ça ne servait à rien de s’inquiéter trop longtemps pour ça. De nuit, on ne les verrait pas de toute façon, et le jour, on ne pouvait pas surveiller en permanence devant le bateau. Donc mieux vaut ne pas y penser, ce serait vraiment pas de chance sur l’immensité de l’océan…

Il y a quand même eu quelques fois où j’ai eu un peu peur sur cette transat… On a croisé 3 fois des cargos venant du nord-ouest, qui étaient en route de collision, l’AIS sonnant pour nous avertir. Difficile déjà en ciseaux de lofer pour l’éviter mais le pire, c’était quand on était sous spi … et de nuit bien sûr ! Le cargo avançait à 12 nœuds, c’était un peu ambitieux de vouloir passer devant lui. Il fallait lofer pour longer sa route en parallèle, dans sa direction, mais impossible avec le spi. Le temps de réfléchir, il était de plus en plus proche, on voyait ses feux se rapprocher dans l’obscurité ! Il a donc fallu affaler le spi rapidement et ça me fait toujours peur quand Damien part à l’avant du bateau, surtout en pleine nuit, pendant que moi je reste derrière à gérer les écoutes et drisses. Même s’il a l’habitude des manœuvres ! Heureusement, il n’y avait pas trop de vent cette nuit-là, tout s’est bien terminé, le cargo passant nonchalamment devant nous…

Mais la fois où j’ai vraiment eu peur, c’était (encore de nuit et pendant mon quart) quand le vent s’est levé car on passait sous un grain. Il y avait de bonnes rafales et les vagues grossissaient en conséquence. A un moment, le bateau s’est mis à lofer subitement, le pilote n’a pas réussi à garder le cap et ça m’a bien surpris que le bateau gîte comme ça. Je me suis mise à crier en essayant de reprendre la barre et Damien est sorti aussitôt. Il m’a crié « il faut enrouler un peu de génois ! » et là, à peine je commence à wincher le bout de l’enrouleur (trop dur à la main même si Damien relâchait l’écoute) qu’il casse d’un coup sec ! Le génois se met à battre dans tous les sens, je commence à paniquer. Damien me dit de prendre la barre, de surtout pas empanner, pendant qu’il va à l’avant enrouler le génois au pied de l’étai. Je n’en menais pas large, seule à la barre derrière, à ne rien y voir dans la nuit à part les vagues qui paraissaient énormes autour du bateau. J’en avais les mains qui tremblaient mais je restais concentrée et cramponnée à la barre en pensant « ne pas trop abattre, ne pas trop abattre… ».

Après des minutes interminables, Damien revient, le génois enroulé. Il a réussi ensuite à bricoler le bout de l’enrouleur pour nous permettre d’utiliser le génois le reste de notre navigation. J’ai quand même eu du mal à me détendre pendant quelques quarts suivants, vérifiant la direction et la force du vent beaucoup plus souvent !

 

  1. Est-ce qu’on s’attendait à ça ?

Damien : C’était comme je l’espérais, même mieux… c’est passé vite, c’était agréable et c’est un beau challenge tout de même pour nous deux (et Manwë pour qui c’est une première également).

Anaïs : Je m’attendais à pire pour être honnête, vis-à-vis de nos deux précédentes «petites » traversées, qui ne m’avaient pas laissé un souvenir impérissable. Mais c’était tout le contraire !

Pour ce qui est de la longueur du voyage, on pensait mettre entre 15 jours (notre temps final, donc c’est vraiment super) et 20 jours, selon les conditions rencontrées. Ce n’est pas rien, seuls au milieu de l’eau, sans voir la terre. Je m’attendais à scruter le calendrier sans arrêt. Mais non, au final, on ne pense pas vraiment au temps qui passe. Les jours les plus longs au final, auront été le 7ème et le 8ème jour, quand on peine à passer la moitié. Et puis finalement, la seconde semaine est passé très vite, ça fait tout de suite plaisir de voir les milles restants diminuer tous les jours, après avoir passé le cap de la moitié !

Je me disais aussi à Mindelo « oh la la, mais quand on va voir Tobago, on va plus en pouvoir, trop impatients de mettre le pied à terre et de quitter le bateau » Eh bien, c’était ma plus grande erreur d’intuition ! Au final, quand on a vu la terre se rapprocher, j’étais impatiente de la découvrir bien sûr, mais je n’avais pas cette envie furieuse de terminer le voyage. J’ai profité jusqu’au dernier moment, comme une journée normale. C’était donc avec beaucoup de sérénité et de curiosité aussi qu’on a longé la côte nord de Tobago pour venir mouiller devant Charlotteville. Une fois bien ancrés, on s’est quand même rendu compte que ça y est, on y est aux Caraïbes ! C’est donc avec excitation et fierté qu’on a pu hissé le drapeau de Tobago et ouvrir le soir-même une bouteille de champagne pour fêter ça ! On l’a fait !

 

  1. Alors, contents ?

Damien : Je suis ravi de l’avoir fait, c’était notre premier gros objectif, mais c’était également un de mes rêves de gosse. De très beaux souvenirs resterons gravés en moi : le magnifique ciel étoilé, et des levers de lune grandioses pendant la pleine lune. Voir Tobago approcher, magnifique, recouverte de végétation luxuriante comme dans mon imagination.

Je me rappelle de cette bonne vague bien vicelarde qui m’a giclé dans le dos pour s’immiscer dans mon ciré en pleine nuit, je me rappelle de cette journée à me morfondre car les panneaux solaires ne produisaient pas du tout l’équivalent de la consommation du pilote et que l’alternateur du moteur ne chargeait que lentement les batteries. Mais ces quelques mauvais moments font parti du jeu et finalement renforcent mon plaisir d’être arrivé ici aux Caraïbes !

Anaïs : Je suis vraiment super contente, et fière aussi, d’avoir réussi à profiter pleinement de cette traversée. Au point de ne pas penser à l’arrivée, au bout du chemin, mais plutôt de laisser les jours s’écouler les uns après les autres, sans se poser trop de questions. Ce n’était pas gagné d’avance mais pari réussi !

On s’est créé de beaux moments à bord qui nous faisaient plaisir, le petit carré de chocolat du calendrier de l’Avent fait maison, le grignotage de biscuit au milieu de la nuit sous les étoiles, l’attente des SMS sur le téléphone satellite le matin… Merci à tous ceux qui nous ont envoyé un message, c’était super d’avoir des nouvelles au milieu de l’océan:) On était comme deux gamins à attendre le bip du téléphone avec les SMS reçus !

 

  1. A quand la prochaine ?

Damien : On va profité du coin pour l’instant, on l’a bien mérité quand même. Et puis on est pas pressé. Mais pour la suivante qui sera sûrement la traversée du Pacifique au printemps 2019, j’aimerais bien essayé avec 2 personnes en plus dans l’équipage. Ça doit être une expérience complètement différente et très sympa aussi. Donc si des aventuriers se découvrent parmi vous n’hésitez pas à nous en parler.

Anaïs : On verra… Même si l’expérience était enrichissante, je ne suis pas non plus pressée pour refaire 15 jours en mer, voire plus, tout de suite. Mais au moins, je n’aurai plus d’appréhension pour une nuit ou deux. « Pfff, 150 milles à parcourir ? De la rigolade ! » Et on verra aussi si on repart seulement à deux ou à plus. Les occupations, les quarts, tout doit s’organiser autrement et ça doit être d’autant plus sympa à vivre !

 

  1. Quels conseils peut-on donner aux futurs navigateurs transatlantiques ?

Damien : Lancez-vous, ça le fera bien (dans ce sens là en tout cas) ! Si vous ne le sentez pas trop prenez des équipier en plus, il y a souvent des annonces dans les marinas des Canaries ou de Mindelo de personnes souhaitant traverser, sinon des équipages proposent leurs places sur des sites internets de bourse aux équipiers. Partir à 4 au lieu de 2 est certes beaucoup plus rassurant.

Anaïs : Ne pas penser à la fin ! Il faut partir dans l’idée de faire le voyage et non d’arriver. Ça prend vraiment tout son sens ici. Et je dirais qu’il faut se préparer au maximum en amont sur les activités qu’on voudra faire à bord. C’est quand même beaucoup plus pratique de prévoir lectures, films et autres au mouillage ou au port avant de partir, et il ne reste plus qu’à s’amuser une fois en mer !

6 commentaires

  1. Salut amis voyageurs! Je découvre votre blog qui est plutôt sympa, et cet article me plait bien car je pars l’année prochaine avec un amis pour le même voyage et j’avoue que vous lire me rassure un eu, même si je n’ai pas vraiment peur 🙂
    En tout cas faites bon voyage, je suis ça de près.

    1. Salut à toi !
      Merci de suivre nos aventures. Bonne navigation à toi, et profite à fond. C’est vraiment une super expérience tu verras !
      Jusqu’où voudrais-tu aller ? On se croisera peut-être un jour en Polynésie…
      A+

  2. Comme cela me rassure, j’ai 22 ans moi c’est Océane et avec mon chéri Matteo on a décidé de prendre le large.
    Lui s’y connait très bien ( le bateau étant sa passion et son boulot ) moi un peu moins même si j’ai déjà pas mal de notion (mon papa étant féru de voile et ayant déjà fait la traversée ).
    Le plus angoissant pour moi c’est vraiment la météo les gros coups de vents… La casse et surtout la PANIQUE dans ces moments.
    Pour le reste tout devrait rouler, j’espère que tout ce passe bien pour vous et qu’on aura la même chance que tout ce passe bien comme vous, a un détail près… Notre petit amour de Malinoise sera du voyage 🙂
    En tout cas merci pour ces précieux éclaircissement Bon vent a vous 😉

    1. Bonjour Océane, tant mieux si on peut vous apporter des conseils et vous rassurer ! Les gros coups de vent comme tu dis, au final, on n’en jamais vraiment eu parce qu’on attend toujours les meilleures conditions météo pour naviguer. Aux Antilles, difficile d’éviter les grains car ils se forment très rapidement mais ils ne durent jamais longtemps, il suffit de bien réagir et de bien se préparer dès qu’on le voit à l’horizon ! Et puis, pour la traversée de l’Atlantique, c’est vrai que nous avions eu des supers conditions. Mais en général, pas trop de surprise (à part des grains plus on se rapproche des Antilles), les alizés soufflent toujours dans le même sens et aux bonnes périodes, toujours à peu près avec la même force…

      N’hésitez pas si vous avez plus de questions !! Bon vent à vous trois 😉

  3. Bon je suis grave en retard mais bon ça y est, je me relance dans la lecture de votre périple. (Ouais je sais je donne une nouvelle définition au mot retard). En tout cas c’est un format vraiment sympa cette petite interview.

    1. Oui je sais on poste beaucoup 😉 non mais l’important c’est déjà de lire c’est super gentil ! On est content que ça plaise ^^

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

%d blogueurs aiment cette page :